Voici un texte qui tombe à pic, alors que nos élus alsaciens veulent imposer le projet totalement imbécile et pharaonique du village Pierres et Vacances que la collectivité va payer de sa poche au profit d'un opérateur privé.
C’est l’histoire d’un charbonnier, un ami, un vrai ami, de ceux que l’on aime sans aucun intérêt autre que celui de passer de merveilleux et riches moments à ses cotés, un homme qui cultive une passion sans borne pour son métier et un immense amour pour les siens.
L’histoire du dernier charbonnier d’Alsace, peut-être même de France ou d’Europe, installé depuis quinze années dans sa clairière un peu à l’écart du village-musée, dans l’enceinte de l’Ecomusée d’Ungersheim.
Depuis toutes ces années, d’abord à son compte sous forme de SARL, puis salarié du musée, il à mis à profit deux de ses qualités rares et précieuses afin de faire vivre ce métier de charbonnier, disparu depuis quelques temps mais qui revêt dans le cours de l’histoire une utilité capitale :
Un savoir extraordinaire d’une part. Une connaissance presque parfaite de sa forêt, des essences d’arbres jusqu’aux chants des oiseaux en passant par toute la faune et la flore dont elle regorge, mais aussi et surtout un savoir faire dans l’exploitation durable du bois qu’il utilise pour la fabrication du charbon; voila quinze années qu’il prélève plus de cents stères par an dans une forêt qui, au lieu d’en souffrir, se diversifie et s’embellit.
Et d’autre part, une force de travail et une volonté impressionnante, que je connais à peu d’hommes, qui lui permet, seul, de couper son bois, de construire ses quatre meules par ans de vingt-cinq stères chacune, de les couvrir de paille et de terre, et de les faire cuire pour en sortir, au bout d’une dizaine de jours, ce charbon de bois d’une qualité calorifique jamais égalée par le charbon de bois industriel.
Mais c’est surtout l’histoire mêlée de cet homme et de l’Ecomusée qui donnait encore plus de sens à ce métier, ainsi qu’à ceux de tous les autres artisans qui travaillent ou travaillaient dans ce lieu unique, patrimoine extraordinaire de l’histoire de notre région.
Un musée vivant nous dit-on… certes il l’était, dans ce cadre de vieilles maisons à colombages démontées et reconstruites ici, une véritable petite vie de village était reconstituée, mêlant la complémentarité de tous les corps de métier à la sauvegarde de nombreuses variétés végétales et animales.
On s’y serait cru lorsque le forgeron cherchait son charbon pour forger ou réparer les outils des artisans, lorsque le charron réparait la charrette du bouvier ou le manche de hache de notre charbonnier qui, avec les potiers, unissant leurs savoirs, l’un de la terre l’autre du feu, expérimentaient de nouvelles méthodes pour cuire les poteries.
Une véritable cohésion existait alors dans la coexistence de ces métiers, cohésion leur donnant alors tout un sens et une existence réelle, sans faux semblant ou simulation.
C’est dans ce cadre là que le public était accueilli, pouvant alors assister à tous ces moments de vie du village, dans la chaleur des diverses rencontres avec les artisans au travail, et dans la douceur du cadre immobilier et naturel de ce musée, patrimoine matériel mais aussi profondément humain de notre région.
Quelle richesse me disais-je chaque fois que je me rendais chez mon ami le charbonnier pour l’aider dans son travail, ou juste pour passer une agréable soirée, contemplant les derniers rayons de soleil passant entre les feuilles des arbres, et traversant les bouffées de fumées s’élevant doucement des évents de ces meules qui cuisaient lentement, tranquillement mais sûrement, comme pour rythmer les moments de vie de cette clairière où l’on prenait le temps de savourer chaque instant, dans la beauté de ce cadre et la chaleur d’une profonde amitié.
Quelle richesse pour le public surtout, que de pouvoir s’immerger dans ce rythme de vie d’antan, afin de mieux comprendre qui l’on était, pour peut-être mieux réfléchir à ce que l’on veut devenir, ou plus simplement prendre le temps de réfléchir à ce que l’on est aujourd’hui.
Mon histoire pourrait s’arrêter là, sur cette note optimiste quant à la participation de ce musée, de par son côté culturel et vivant, à une réflexion sur nos manières de vivre, basée sur l’intérêt collectif et réciproque…
Mais ces propos un rien utopistes, ne feront pas longtemps illusion dès lors qu’ils se confrontent à la réalité politique et financière de notre monde.
En effet voila quelques années que ce musée connaît des difficultés financières. Quelques lacunes de gestion de l’ancienne direction n’y sont peut-être pas pour rien, mais n’était-ce pas alors le rôle des pouvoirs publics régionaux et départementaux que de soutenir un tel projet représentant autant de richesses culturelles?
Des subventions publiques existaient pourtant, et participaient au bon fonctionnement du musée.
N’était-ce pas alors à travers le renforcement de ce partenariat que l’on aurait pu aider ce musée à continuer de vivre sa belle histoire, à pérenniser ce projet de musée vivant?
N’était ce pas presque un devoir politique que de soutenir ce formidable projet culturel régional?
Malheureusement les ambitions politiques et économiques de notre département ont fait prendre à ce projet un tout autre visage.
En effet voila quelques années qu’il est question de créer autour de ce musée un « pôle touristique », en partenariat avec une compagnie privée, géant du tourisme français:
la Compagnie des Alpes.
Bien sûr, les choses se font en douceur, dans l’ombre et petit à petit, et je ne suis de loin pas le seul à avoir l’intime conviction, que tout ce projet est réfléchi, dans son ensemble, depuis bien longtemps déjà.
On a commencé à être alerté au moment où s’est mise en place la construction du Bioscope, sorte de parc de loisir tourné vers l’environnement naturel, construit en outre à l’emplacement d’un marais bien connu des gens du coin comme abritant une faune et une flore exceptionnelle…. premier paradoxe?
Outre le manque de pertinence pédagogique que je trouve à ce complexe, qui à la rigueur ne regarde que moi, il est un aspect bien plus préoccupant quant à ce projet de Bioscope, c’est la question du subventionnement d’activités privées par des fonds publics.
En effet, ce parc est géré par la Compagnie des Alpes qui profite alors de ses bénéfices économiques, or des subventions lui sont attribuées par les pouvoirs publics régionaux. Bien entendu on pourrait justifier de telles subventions publiques attribuées plus ou moins directement à une compagnie privé, par l’apport en terme de développement (culturel ou économico-touristique?), que cela amène à notre région, mais se pose alors la question du type de développement qui est ici privilégié, or il est assez facile de comprendre que l’objectif premier d’une telle compagnie privée est de dégager un maximum de bénéfices plutôt que de se soucier d’un quelconque développement culturel ou réflexif.
On comprend bien alors que le choix politique qui est fait à travers un tel partenariat est bien celui d’un développement purement économique, au détriment de tout intérêt culturel.
Et on le comprendra encore mieux lorsqu'on se sera aperçu que ce Bioscope n’est que le point de départ d’un projet bien plus vaste concernant, en outre et surtout, l’Ecomusée.
En effet, ces mêmes pouvoirs publics ont estimé que la seule solution viable pour « sauvegarder » ce musée était alors ce même partenariat, avec cette même Compagnie des Alpes.
Etant les principaux financeurs du musée, il a alors été assez facile pour eux de convaincre le conseil d’administration de l’association de l’écomusée d’accepter ce partenariat.
Ainsi la Compagnie des Alpes possède maintenant le restaurant du musée, le magasin du musée, et en échange de subventions versées au musée, autour de 80% du prix des entrées servant à faire vivre un Bioscope qui ne rencontre de loin pas le succès escompté!
Soit, me disais-je naïvement, peut-être que cela pourra donner un nouveau souffle au musée, de nouveaux fonds permettraient de financer quelques chouettes projets de développement du musée: autour du carreau de la mine Rodolphe qui avait toute sa place dans ce musée en tant que vestige de cette période d’extraction de la potasse, ou encore autour de la restauration de la roue à aube de la scierie afin de la faire fonctionner à la force de l’eau…
Mais peut-être avions nous bien raison de ne pas vraiment y croire!
Une première vague de licenciement l’année dernière nous alertait déjà sur la volonté de restreindre les activités du musée, et cette deuxième vague plus récente, dont celui de notre ami le charbonnier, aux motifs officiellement économiques, vient nous confirmer ce choix de la nouvelle direction, recrutée par la Compagnie des Alpes, d’une gestion purement financière, au détriment de toute cette vie qui animait le musée.
Sur une bonne centaine, il reste…une quinzaine de salariés permanents!
Et déjà lorsque l’on se promène dans le musée, il n’y a plus cette vie qui l’animait, les allées de fleurs sont envahies par les mauvaises herbes, les télévisions remplacent petit à petit les artisans, les animaux ne sortent plus, les champs ne sont qu’a moitié labourés, on demande de plus en plus aux artisans de faire de l’entretien, et lorsque l’on s’approche du camp du charbonnier, on ne sent plus cette odeur de fumée, ses meules en construction commencent déjà à se dégrader, et les herbes commencent à pousser de partout.
Et c’est sans parler de la tristesse que l’on peut lire dans ses yeux, que de savoir que sa forêt, qu’il entretient avec passion depuis quinze ans, vendue par la commune d’Ungersheim, va en partie être rasée, au profit d’un complexe immobilier « Pierre et vacances », partenaire privilégié de la Compagnie des Alpes!
Il me faudra encore parler du projet de « complexe nautique » prévu à proximité du musée, pour finir d’expliquer en quoi les ambitions pour ce site sont bel et bien celles d’un « pôle touristique » basé sur le loisir et la détente, et motivées en réalité par une volonté de développement purement économique de la part des pouvoirs publics (qui, on le comprend bien, n’ont pas intérêt à se mettre une compagnie si puissante que la Compagnie des Alpes à dos), et bien évidemment par un souci de pure rentabilité de la part des « partenaires » privés.
Quelle sera alors la prochaine étape de mise à mort de ce musée?
Des hôtels de standing dans les maisons?
Une sorte de Mickeyland, ou plutôt de « Hansiland » où tout n’est que simulation et amusement?
Mon indignation est déjà grande, mais mes pensées vont surtout vers tous ces bénévoles et employés qui depuis bientôt 30 ans ont mis tous leurs efforts et leur passion dans ce projet qu’ils portaient avec force et conviction. La plupart sont déjà partis sans faire de bruit, le cœur meurtri par la mort annoncé de toute une partie de l’âme de notre région, laissée en pâtures à quelques compagnies privées, avides de toujours plus de profit, quel qu’en soit le prix humain…et ceux qui restent encore, ont bien du mal à sourire!
Il n’est pas aisé aujourd’hui, de remettre en cause ces logiques financières tant elles se veulent, pour beaucoup, comme une évidence. Mais je pense avoir le soutien dans ces paroles, de bien plus de personnes qu’on ne pourrait l’imaginer: combien de visiteurs m’ont exprimés leur indignation lorsque l’on discutait de la situation du musée, combien de paroles bien plus dures que celles-ci ai-je entendues de la part des employés du musée et des bénévoles, combien de personnes connaissant le musée se sont exprimés dans ce sens!
C’est pour cela que je tenais aujourd’hui à exprimer tout ça, l’entendra qui voudra.
Ayant vécu de nombreux moments aux cotés de Roger, notre ami le charbonnier, j’ai pu constater l’indignation quasi générale face à cette manigance politico-financière ayant pour conséquence, à terme, la disparition de ce musée sous sa forme vivante.
C’est donc ainsi que s’achève l’histoire du charbonnier à l’Ecomusée.
La larme à l’œil, il quittera sa clairière dans quelques jours, sans même le moindre soupçon de haine ou de vengeance, sans même vouloir emmener les sacs de charbon de sa dernière meule, sans même vouloir le moindre tort à ceux qui lui ont pris la moitié de sa vie sans aucun scrupule, ceux-la mêmes qui n’ont rien trouvé de mieux que de lui suggérer de faire un CAP de cuisine comme reclassement professionnel, n’ayant même pas ce minimum d’humilité et d’intelligence pour comprendre que dans ces métiers qu’ils effacent, il y a bien plus de sens que dans les liasses de billets qu’ils entassent!
Mais lui, il reste digne, comme pour affirmer qu’il est des choses que tout l’or du monde ne pourra jamais acheter: son savoir, son expérience, la passion de son métier, son amitié, son amour, et la profondeur extraordinaire de son âme. C’est avec toutes ces richesses bien plus authentiques et chères à nos yeux qu’il s’en va ailleurs, et avec nous, vers de nouveaux projets.
Quoique tu fasses, où que tu ailles charbonnier, notre amitié pour toi et ces valeurs que nous partageons n’auront jamais de prix!!
Joris POLMAN
3 commentaires:
Je n'arrive pas à retrouver dans vos archives cette merveilleuse photo de statuettes en charbon,
sculptées par des mineurs polonais...Si je me souviens...
Hélas, Mickeyland est partout...
Bravo et courage l'ami charbonnier!
La photo était publiée le 14/09/07 dans ce blog. Courage.
Merci de suivre l'actualité de ce blog.
J'ai retrouvé la photo de ces merveilleuses figurines en charbon et bien d'autres trésors!
Merci beaucoup.
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